Déclaration

Convention sur certaines armes classiques

Groupe d’experts gouvernementaux sur les systèmes d’armes létaux autonomes, 7 - 11 mars 2022, Genève.
Déclaration du Comité international de la Croix-Rouge.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se félicite du travail soutenu mené par le groupe d'experts gouvernementaux et exhorte les Hautes Parties contractantes à la Convention sur certaines armes classiques à poursuivre cette importante mission, conformément à l'un des principaux objectifs de cette Convention, à savoir, « la nécessité de poursuivre la codification et le développement progressif des règles du droit international applicables dans les conflits armés ».

L'élaboration et l'utilisation sans cesse accrues de systèmes d'armes autonomes mettent cet objectif en relief et confèrent une urgence à la nécessité, pour la communauté internationale, d'apporter une réponse efficace et rapide.
À la fin de l'année dernière, le CICR a instamment appelé les Hautes Parties contractantes à doter le Groupe d'experts gouvernementaux d'un mandat ambitieux, qui soit de nature à ouvrir la voie à l'adoption de nouvelles règles internationales juridiquement contraignantes.

Si l'orientation du mandat n'est pas clairement définie, nous sommes toutefois convaincus que les États se saisiront de cette occasion pour formuler une réponse efficace face aux risques que posent les armes autonomes, une réponse qui « tient compte de l'exemple des protocoles existants au sein de la Convention sur certaines armes classiques » et tire parti des travaux précédemment menés.

Le CICR trouve encourageant que la plupart des Hautes Parties contractantes, conjointement et séparément, aient exprimé auparavant leur volonté de s'engager à ne pas élaborer ni utiliser d'armes autonomes présentant des risques inacceptables et d'instaurer des limites pour toutes les autres armes.

Cette approche « à deux niveaux » va dans le sens des recommandations du CICR visant à interdire les armes autonomes imprévisibles et les armes conçues ou utilisées pour cibler des êtres humains. Elle est également conforme à nos recommandations de réguler strictement la conception et l'utilisation de toutes les autres armes autonomes.

Le large soutien apporté à ces engagements démontre une convergence de vue entre un nombre important et croissant d'États, le CICR, la société civile et des figures clés de la communauté scientifique. Les armes autonomes exposent les personnes touchées par une guerre à des risques spécifiques et leur utilisation est difficilement conforme au droit international, notamment le droit international humanitaire (DIH). Par ailleurs, l'utilisation de certains types d'armes autonomes outrepasse les limites du droit et de l'éthique.

Le CICR trouve également encourageant qu'un nombre croissant d'États considèrent à la fois nécessaire et faisable de soumettre les armes autonomes à des limites de portée internationale, sous la forme de nouvelles règles juridiquement contraignantes, et qu'ils aient adopté des engagements nationaux en vue de favoriser les initiatives allant dans ce sens. Il a bon espoir que les États trouveront un moyen d'entamer des négociations afin de définir officiellement ces limites au sein un nouvel instrument juridique et reste convaincu que de telles règles sont nécessaires.

Il n'y a pas à douter de l'utilité des lois. De nouvelles règles internationales permettraient de clarifier et de préciser les modalités d'application du DIH aux armes autonomes. Elles permettraient aussi d'élaborer des mesures de protection juridique et de renforcer celles qui sont déjà en place afin de parer aux risques humanitaires plus larges et aux préoccupations éthiques fondamentales associés à ces armes. La loi offre l'avantage d'une sécurité et d'une stabilité juridiques.

La Déclaration de Saint-Pétersbourg a donné l'exemple voici 154 ans et la communauté internationale doit continuer de fixer « les limites techniques où les nécessités de la guerre doivent s'arrêter devant les exigences de l'humanité ». Il n'appartient pas seulement aux créateurs de technologies militaires de décider de ces limites.

En l'absence de telles règles, le CICR craint que de nouvelles évolutions au niveau de la conception et de l'utilisation des armes autonomes ne donnent lieu à des pratiques qui auraient pour effet d'affaiblir les principes d'humanité et les protections que le DIH accorde actuellement aux victimes de la guerre.

Par exemple, des engagements politiques ou un ensemble de principes pourraient-ils offrir le niveau de précision et de clarté nécessaires pour garantir que les États ne développent pas des armes autonomes que d'autres États considèrent comme illégales ou tout à fait inacceptables ? Ces engagements ou principes énuméreraient-ils les conditions sous lesquelles les armes autonomes pourraient être utilisées conformément à la loi ? Ces instruments offriraient-ils aux Hautes Parties contractantes la certitude que tous les principes seront honorés et l'assurance qu'en cas de problème, des recours seront disponibles ?

Les débats qui ont animé les réunions de la Convention sur certaines armes classiques ces huit dernières années indiquent qu'à elles seules, des mesures juridiquement non contraignantes de ce type n'offriront pas de réponse efficace ou rapide aux nombreux défis graves que posent les armes autonomes.

Le fait que certaines questions fondamentales liées au rôle de l'homme dans l'application de la loi restent sans réponse — et que des divergences d'opinions persistent entre les États — souligne d'autant plus la nécessité d'établir de nouvelles règles juridiquement contraignantes.

Le CICR est d'avis que le processus de négociation de nouvelles règles applicables aux armes autonomes offrira la possibilité de résoudre les questions juridiques et les préoccupations d'ordre éthique, même si les mesures juridiquement non contraignantes et les règles peuvent être complémentaires et se renforcer mutuellement, notamment lors de la mise en œuvre de ces dernières.

Certains avancent parfois que les éléments attestant de préjudices humanitaires ne sont pas suffisamment nombreux pour justifier l'adoption de nouvelles règles en matière d'armes autonomes. Mais selon nous, ce genre d'argument est déconnecté des préoccupations suscitées de longue date par les armes qui sélectionnent des cibles et exercent la force contre elles sans intervention humaine, parfois appelées « armes déclenchées par les victimes ». Les risques élevés que ces armes font peser sur les civils, en raison de la difficulté de prévoir et de contrôler leurs effets, sont bien établis.

Les Hautes Parties contractantes à cette Convention ont pris ces risques en compte, par exemple en soumettant l'utilisation des mines terrestres à des limites juridiquement contraignantes très strictes, au niveau international, inscrites dans le Protocole II de la Convention sur certaines armes classiques de 1980 et dans les amendements qui lui ont été apportés en 1996. Et face aux préoccupations humanitaires particulièrement fortes que soulèvent les mines antipersonnel, une majorité d'États les a bannies dans un autre instrument international juridiquement contraignant.

Ensemble, ces instruments constituent des avancées majeures pour la protection des civils et l'évolution progressive du DIH. Pourtant, le développement des systèmes d'armes autonomes laisse largement de côté le problème sous-jacent de ce processus d'utilisation de la force, à savoir, le fait qu'un système d'arme déclenche de lui-même une frappe alors que l'utilisateur ne choisit pas, voire ne connaît pas, la cible spécifique et le moment ou le lieu précis des frappes.

Dans un contexte où les technologies et les pratiques de guerre évoluent, le temps est venu de s'attaquer aux défis fondamentaux et aux risques graves qui accompagnent ce processus d'exercice de la force, notamment aux grandes problématiques éthiques liées à l'exercice de la force, par ces moyens, sur des êtres humains. Le moment est venu d'agir avec détermination pour prévenir de futures crises humanitaires.

Le CICR reste convaincu que les États trouveront une réponse juridique internationale à la mesure de ces risques. Nous nous réjouissons des échanges plus détaillés des prochains jours, au cours des débats relatifs à chaque proposition spécifique.